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"J’ai choisi une autre route que la tienne"Lettre de Daniel Guérin à son père "Je voudrais accomplir aujourd’hui un devoir. Tout en me refusant à croire que tu ne pourrais pas te rétablir, je voudrais te dire certaines choses pour le cas où nous ne nous reverrions pas. Je voudrais t’exprimer ma profonde reconnaissance pour tout ce que je te dois. En ces temps où la culture, la vieille, se meurt - avant qu’elle ne rebondisse, plus tard, sous de nouvelles formes -, je voudrais te remercier de m’avoir transmis ce précieux héritage culturel, qui fait la vie digne d’être vécue. Si je remonte dans mon enfance, je t’entends m’apprendre à aimer Baudelaire, et Chopin, et Renoir et Degas. Si j’ai, politiquement et socialement, choisi une autre route que la tienne, je n’ai jamais sous-estimé, ni renié, ni trahi cet héritage, ce goût des belles choses. Merci de me l’avoir transmis. Ce que tu as aimé, la culture, l’art est immortel. Dans des siècles, des hommes (différents de ceux d’aujourd’hui) aimeront encore Baudelaire, Chopin, Renoir et Degas. "Par ailleurs, je sais ce qu’il y a en nous de commun, cette vive sensibilité, ce besoin aigu d’amour et de tendresse. Et aussi des passions qui nous ont parfois rendu à tous deux la vie difficile, mais qui sont une forme de notre besoin de tendresse et de notre amour du beau. Si un jour tu t’en allais, il y a des choses que je serais seul à sentir et un fardeau que je serais seul à porter. "Je t’ai fait souffrir au cours de ma vie. Mais sans l’avoir jamais voulu. J’ai été victime de mon tempérament trop violent, trop contradictoire, de mon besoin extrême d’indépendance. Et là où je t’ai le plus violemment heurté, c’est par fidélité à des convictions qui sont ma raison de vivre. "Excuse-moi de te dire tout cela. Ce n’est pas urgent, puisque tu te rétabliras. Mais il faut tout prévoir. Et je voulais t’avoir dit cela une fois pour toutes, même si l’échéance est très lointaine." Marcel Guérin répondit : "Tu as touché mon coeur dans ses fibres les plus profondes en me parlant comme tu as fait. C’est une consolation pour moi. Pour ce qui est des biens culturels, je suis tranquille. Et c’est une grande joie pour moi, en relisant ta lettre, de voir combien tu leur restes attaché. Encore une fois je te remercie avec une grande émotion de me l’avoir dit. Mon cher fils que, comme ta grand-mère, j’ai chéri plus que mes autres enfants, mon premier né, la plus grande joie de ma vie, je te serre sur mon pauvre coeur qui t’a tant aimé." |